Paroisse Orthodoxe de l'Annonciation Angers

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Comment vaincre l'état d'acédie (la dépression et le désespoir)?

Fils prodigue 2

Le retour du fils prodigue (Evangile selon saint Luc 15:11-24)

Comment vaincre l'état d'acédie

(la dépression et le désespoir)?

 

Le texte ci-dessous, écrit par le prêtre russe George Maximov, parle de l'un des troubles mentaux les plus répandus dans le monde moderne : la dépression. Il donne un regard chrétien sur cette maladie spirituelle, très répandue et tolérée dans le monde moderne, et propose une voie de guérison.

 

La foi orthodoxe dispose d’un point de vue spécifique sur ce que la psychologie appelle la "dépression", et que les saints Pères ont appelée « le péché de l’acédie » , un péché qui « s’enlise », c'est-à-dire que l’on permet à l'âme et l'humeur de l’homme d’être dominées.

 

 Nous aborderons les points suivants :

  • Qu'est-ce que la passion de l'acédie?
  • La première conséquence de l'acédie : le maugréement [action de manifester son mécontentement, sa mauvaise humeur, en protestant à mi-voix]                 
  • La deuxième conséquence de l'acédie : le désespoir
  • Comment l'acédie se manifeste-t-elle?
  • D'où vient l'acédie?
  • Première racine : l'orgueil
  • Deuxième racine : des passions insatisfaites
  • Autres causes de l'acédie
  • Comment lutter contre l'acédie?
  • La prière
  • Annexe - « La lutte contre les pensées » de Saint Ignace Brianchaninov

 

Qu'est-ce que la passion de l'acédie?

 

Voici l'histoire vraie d'un homme, notre contemporain. À trente-cinq ans, il réussit plutôt bien dans son travail. Il a une belle et modeste femme, une petite fille, un grand appartement à Moscou, une maison de campagne, deux voitures, et de nombreux amis... Il mène une vie que beaucoup de gens rêvent d'avoir. Cependant, rien ne le réjouit. Il a oublié ce qu'est la joie. Constamment accablé par une anxiété qu'il tente en vain de noyer dans le travail, il se considère comme malheureux, sans pouvoir expliquer pourquoi. Il possède de l'argent, la santé, la jeunesse, tout est là. Mais le bonheur semble lui manquer.

 

Il essaie de lutter, de trouver une solution. Il consulte régulièrement un psychologue et participe à plusieurs séminaires dédiés [au bien-être psychique] chaque année. Immédiatement après ceux-ci, il ressent un soulagement pendant un court laps de temps, mais tout revient ensuite. Il confie à sa femme : "Même si cela ne me soulage pas durablement, au moins là-bas, on me comprend". Il partage avec ses amis et sa famille qu'il souffre de dépression.

 

Malheureusement, ceci n'est qu'un exemple parmi d'autres. De nombreuses personnes se trouvent dans une situation similaire. Bien sûr, toutes ne bénéficient pas d'une situation sociale aussi favorable. C'est pourquoi certaines disent : "C'est difficile pour moi, car je n'ai pas d'argent" ou "je n'ai pas d’appartement" ou "mon travail n'est pas satisfaisant", ou "ma femme n'est pas contente" ou "mon mari est un alcoolique", ou "ma voiture est tombée en panne" ou "je n'ai pas une bonne santé", etc. Les gens sombrent dans la dépression en pensant que si quelque chose change un peu ou s'améliore même ne serait-ce qu’un petit peu, l'anxiété disparaîtra  et le bonheur s'installera.

 

"Vieil homme en pleurs" Vincent Van Gogh

 

Les gens s'efforcent d'atteindre ce qu'ils pensent leur faire défaut, mais une fois qu'ils l'ont obtenu, après une brève période de bonheur, l'anxiété revient. Les gens changent d'appartement, d'emploi, de conjoint, de voiture, d'amis, de passe-temps, mais ils ne parviennent pas à apaiser définitivement leur mécontentement intérieur qui, lorsqu'il s'intensifie, se transforme en une sombre tristesse.

 

Les psychologues définissent cet état comme la dépression. Ils la décrivent comme un trouble mental qui survient souvent après des événements négatifs dans la vie, mais qui peut également se développer sans raison apparente. Actuellement, la dépression est le trouble mental le plus répandu.

 

Les symptômes de base de la dépression incluent une mauvaise humeur indépendante des circonstances, une perte d'intérêt ou de plaisir pour des activités qui étaient autrefois agréables, la fatigue et un "manque de force".

 

Les symptômes supplémentaires comprennent le pessimisme, les  sentiments de culpabilité, d'inutilité, d'anxiété et de peur, l'incapacité à se concentrer et à prendre des décisions, la présence de pensées morbides et suicidaires, un appétit instable, ainsi qu'un sommeil perturbé (insomnie ou sommeil excessif). Pour poser le diagnostic de "dépression", il faut  la présence de deux symptômes de base et de deux symptômes supplémentaires.

 

Eh bien, si une personne reconnaît ces symptômes chez elle, que peut-elle faire? Beaucoup consultent un psychologue. De plus en plus de gens recherchent de l'aide. Et que trouvent-ils là-bas? Tout d'abord, des discussions, puis éventuellement des médicaments, tels que des antidépresseurs.

 

Certains psychologues disent que la dépression peut être traitée avec succès dans la plupart des cas, mais ils reconnaissent qu'il s'agit du trouble mental le plus répandu. Il y a une contradiction évidente ici - si la maladie est traitée avec succès, pourquoi ne disparaît-elle pas, pourquoi la situation s'aggrave-t-elle avec le temps?

Par exemple, les épidémies de variole ont été éradiquées avec succès et il n'y a plus de personnes atteintes de cette maladie. Avec la dépression, la situation est différente.

 

Pourquoi? N'est-ce pas parce que les soins atteignent uniquement les symptômes de la maladie, tandis que ses véritables causes restent cachées dans les âmes humaines, comme les racines des mauvaises herbes d’où repoussent sans cesse des tiges nuisibles?

 

La psychologie est une science récente. Elle a officiellement commencé il y a 130 ans, lorsque Wilhelm Wundt a ouvert le premier laboratoire de psychologie expérimentale à Leipzig en 1879.

 

L'Orthodoxie a deux mille ans d'histoire. Elle a son point de vue sur le phénomène appelé en psychologie "dépression". Pour ceux qui s'intéressent à la possibilité d'une délivrance de la dépression, il n’est pas  superflu de se familiariser avec cette perspective.

 

En Orthodoxie, le terme "acédie" est utilisé pour définir l’état d'âme décrit ci-dessus. Il s'agit d'un état maladif au cours duquel une humeur pénible pénètre dans l'âme, devenant avec le temps permanente, auquel s’ajoute un sentiment de solitude, d'abandon de la part de ses  proches, de la famille, du monde entier , et de Dieu même. On distingue deux types d’acédie: l'acédie avec l’étouffement complet de l'esprit sans  aucun sentiment pernicieux, et l'acédie avec une teinte de malice et d'irritabilité.

 

Voici comment les  Pères de l'Église parlent de cet état : "L'acédie est l’affaiblissement de l'âme et la faiblesse de l'esprit, la calomniatrice de Dieu - comme s'Il était impitoyable et inhumain " (Saint Jean Climaque). "L'acédie représente un tourment sévère de l'âme, une souffrance indicible et une punition plus grave que toute autre punition et souffrance" (Saint Jean Chrysostome).

Cet état est présent chez les croyants, bien qu'il soit plus répandu chez les non-croyants. A ce sujet Saint Païssios du Mont Athos a déclaré : "Une personne qui ne croit ni en Dieu ni en la vie future, soumet son âme immortelle à une condamnation éternelle, mais dans cette vie déjà elle demeure sans consolation. Personne n'est capable de la réconforter. Elle craint de perdre sa vie, elle souffre, elle va chez le psychiatre qui lui prescrit des médicaments et lui conseille des distractions. Elle prend des pilules, s’abrutit, puis va ici et là pour regarder des choses intéressantes et oublier sa douleur."

 

Voici comment Saint Innocent (Borisov) de Kherson et de Tauride écrit à ce sujet : "Est-ce que les pécheurs qui ne se soucient pas du salut de leur âme souffrent d'acédie? Oui, le plus souvent, même si, en regardant de l'extérieur, leur vie est largement composée de divertissements et de plaisirs. On peut même dire avec précision que le mécontentement intérieur et l'anxiété cachée sont constamment présents chez les pécheurs, car la conscience, même si on s’efforce de l'étouffer, ronge le cœur. Involontairement, un pressentiment profond et réticent du jugement et de la condamnation futurs perturbe l'âme du pécheur et rend amer ses plaisirs sensuels insensés. Le pécheur le plus endurci ressent parfois un vide en lui, une obscurité, des blessures et [l’inéluctabilité de] la mort. C'est de là que vient cette inclination irrésistible des non-croyants vers un plaisir constant, le désir de s'oublier et de vivre hors de soi-même."

 

Que dire aux incroyants au sujet de leur état? Que cet état est  utile pour eux, car il sert de rappel et d'incitation à la repentance. Et qu'ils n’espèrent pas qu'il vont trouver  un autre moyen pour  se libérer de l'esprit pesant tant qu'ils ne se tournent pas vers le chemin de la vérité et ne corrigent pas leur nature. Les plaisirs futiles et les joies terrestres ne pourront jamais remplir le vide du cœur : notre âme est plus vaste que le monde entier. Au contraire, avec le temps les joies charnelles perdront leur pouvoir amusant et enchanteur de l'âme, se transformant en source de lourdeur et d'ennui.


On pourrait se demander  : tout état de tristesse correspond-t-il à l’acédie? Non, pas systématiquement. La tristesse et le chagrin, s'ils ne sont pas enracinés en l'homme, ne représentent pas une maladie. Ils sont inévitables sur le difficile chemin terrestre, comme Seigneur nous en a averti : "Dans le monde, vous aurez des afflictions ; mais prenez courage, moi, j'ai vaincu le monde" (Jean 16:33).

Saint Jean Cassien enseigne que « seulement dans un cas, la tristesse peut être considérée comme utile pour nous : quand elle survient en raison du repentir pour les péchés que nous avons commis, ou de la volonté de perfection, ou de la contemplation du bonheur futur ». A ce sujet le saint apôtre Paul dit : « La tristesse selon Dieu produit un repentir qui conduit au salut et ne laisse pas place au regret…La tristesse selon ce  monde, produit la mort » (2 Corinthiens 7:10). Autrement dit, cette tristesse qui engendre le repentir et qui conduit au salut, est obéissante, chaleureuse, humble, douce, agréable, patiente, car elle découle de l'amour envers Dieu, elle est d'une certaine manière joyeuse, stimulée par l’espoir  de sa propre future perfection. La tristesse démoniaque est cruelle, intolérante, impitoyable, associée à un chagrin insensé et à un désespoir tourmenté. Affaiblissant l'homme qui y est soumis, elle le détourne du zèle et de la tristesse salvateurs, car elle est insensée... Ainsi, à l'exception de la douce tristesse susmentionnée, qui découle d'un repentir salutaire ou d'un zèle tourné vers la perfection, ou du désir de biens futurs, toute tristesse comme la tristesse de ce monde qui cause la mort, devrait être rejetée, chassée de nos cœurs."

 

 La première conséquence de l’acédie – le maugréement

 

(Note du traducteur: comme dit plus haut, "maugréement" est l'action de montrer sa mauvaise humeur, son mécontentement, son impatience, sa réticence en prononçant des paroles à mi-voix)

 

 Voici ce que Saint Tikhon de Zadonsk a correctement observé : « Du point de vue pratique, la tristesse de ce monde est complètement inutile, car elle n'est pas en mesure de rendre ou de fournir à l'homme quoi que ce soit pour supprimer les raisons qui le rendent triste. Cependant, du point de vue spirituel, une telle tristesse cause des dommages considérables. » 

"Évitez l'acédie car elle détruit tous les fruits de l'effort ascétique", conseille Saint Isaac l'Ermite. 

 

Saint Isaac a spécifiquement écrit pour les moines, c'est-à-dire pour des personnes qui connaissent déjà les principes fondamentaux de la vie spirituelle, tels que la nécessité de supporter patiemment la souffrance qui survient, ou les restrictions, car Dieu apporte un fruit riche sous la forme d'une purification du cœur des souillures du péché.

 

De quelle manière l'acédie peut-elle priver l'homme de ce fruit?

 

Nous pouvons établir une comparaison avec le monde du sport. Chaque athlète est contraint de supporter un effort intense pendant l'entraînement. Dans les sports de combat, il est nécessaire de faire face à de véritables coups. En dehors de l'entraînement, l'athlète s'impose des restrictions sérieuses en ce qui concerne l'alimentation.

 

Ainsi, il ne peut pas manger ce qu'il veut, ne peut pas aller où il veut, et doit s'engager dans quelque chose qui le conduit à l'épuisement et lui cause de la douleur. Cependant, malgré tout cela, si l'athlète ne perd pas de vue l'objectif pour lequel il endure tout cela, sa persévérance sera récompensée - son corps deviendra plus fort et plus endurant, la souffrance  le rendra plus fort, plus expérimenté. En conséquence, il atteindra l'objectif qu'il s'est fixé.

 

Cela se produit avec le corps, mais la même chose se produit avec l'âme quand elle endure des souffrances qui apparaissent,  ou des restrictions par amour pour  Dieu.

L'athlète qui a perdu de vue son objectif, et cessé de croire qu'il peut l’atteindre, tombe dans un état d'esprit difficile. Les exercices deviennent pour lui une torture dénuée de sens et même s'il est forcé de continuer, il ne deviendra plus champion. Cela signifie qu'il aura perdu le fruit de ses efforts, qu'ils aient été volontaires ou involontaires.

 

 La même chose se produit avec l'âme de l'homme qui est tombée dans l'acédie, car cet état est une conséquence de la perte de  foi, ou d'une foi faible. Cependant, c'est seulement un aspect de cet état. L'autre facette se reflète dans le fait que l'acédie est souvent accompagnée de maugréements. Le maugréement se manifeste par le fait que l'homme attribue toute responsabilité de ses propres souffrances aux autres, en fin de compte, à Dieu lui-même, se considérant comme une victime innocente, se plaignant constamment et s'irritant contre tous ceux qui, selon lui, sont responsables de ses souffrances. Il y a de plus en plus de "coupables", au fur et à mesure que l'homme s'enfonce dans le péché du maugréement, et devient plus malveillant.

 

Il s'agit du péché le plus grave et de la plus grande folie.

 

C'est comme si un homme mettait les doigts dans une prise électrique, touchait les fils nus, subissait une décharge électrique et commençait à se plaindre : "Ah, quel mauvais Dieu! Pourquoi a-t-Il permis que le courant me frappe? Pourquoi!!! Pourquoi cela doit-il m'arriver?"

 

L'homme peut commencer à maudire l'électricien, la prise, l'homme qui a découvert l'électricité et ainsi de suite, et s'il ne s'arrête pas là, il finira par accuser Dieu. C'est là l'essence du maugréement. L'homme qui maugrée sur les circonstances suppose que Celui qui lui a envoyé de telles circonstances est coupable. C'est pourquoi parmi les gens qui maugréent, il y a beaucoup de ceux qui se sentent "offensés par Dieu".


Mais, est-ce que Dieu t'a poussé à toucher le fil dénudé?

 

Se plaindre est un signe d'immaturité spirituelle. Une personne refuse d'accepter la responsabilité de ses actions, ne veut pas reconnaître que ce qui lui arrive est la conséquence naturelle de ses actes, de ses choix, de ses caprices. Au lieu de reconnaître l'évidence, elle commence à chercher un coupable, et bien sûr, le coupable ultime est présenté comme Celui qui est le plus longanime.

 

C'est précisément avec ce péché que le trébuchement de l'humanité a commencé. Le Seigneur a dit : "Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas ; car, le jour où tu en mangeras, tu mourras." (Genèse 2:16-17). Une seule restriction, très simple. Cependant, l'homme a mangé [de ce fruit]. Ensuite, Dieu lui demande : "Adam, pourquoi?" Les Saints Pères disent qu'à ce moment-là, notre premier ancêtre aurait pu dire : "Seigneur, j'ai péché, pardonne-moi, je suis coupable", et l'expulsion du paradis n'aurait pas eu lieu, et toute l'histoire de l'humanité aurait été différente.

Au lieu de cela, Adam dit : "Pourquoi serais-je coupable? Je n'ai rien à voir avec cela. Tout est la faute de la femme que Tu m'as donnée"... Voilà qui a commencé à "tirer des flèches" sur Dieu à cause de ses propres actions! Adam et Ève n'ont pas été chassés du paradis à cause du péché, mais à cause de l'absence de désir de se repentir, qui s'est manifesté par des plaintes envers son prochain et envers Dieu. Cet état représente un grand danger pour l'âme.

 

Selon les paroles de Saint Théophane le Reclus : "La santé ébranlée peut ébranler le salut même, lorsque des maugréments sont proférés par la bouche de la personne malade." De même, les pauvres et les mendiants, s'ils maugréent et se plaignent à cause de leur pauvreté ou de la maladie, n'obtiennent pas le pardon.

Les plaintes constantes ne peuvent pas libérer de l'infortune, elles ne font que l'aggraver, tandis que la soumission humble devant les décisions de la Providence divine et la sérénité d'esprit allègent le poids des épreuves. C'est pourquoi, quand une personne rencontre des difficultés sans maugréer, mais glorifie Dieu, le diable bout de colère et va vers un autre, vers une personne qui maugrée, pour lui causer encore plus de désagréments. Plus une personne maugrée fort, plus elle se détruit elle-même.

 

Saint Jean Climaque témoigne de la manière dont ces destructions spirituelles se produisent, en dressant le portrait spirituel de celui qui maugrée : « Quand on fait une demande à quelqu'un qui maugrée, il nous contredit, n'est jamais prêt pour ce travail ; en une telle personne, ne réside pas une once de bonne humeur, car elle est paresseuse, et la paresse est indissociable du maugréement. Elle est versatile, personne ne la surpassera en bavardage ; elle calomnie toujours l'un devant l'autre. Une personne qui maugrée est morose quand il s’agit de réaliser de bonnes actions, incapable d'hospitalité, et hypocrite dans l'amour. »

 

La situation ici est la même qu'avec un athlète - celui qui voit le but devant lui, croit qu'il est atteignable et espère pouvoir l’atteindre, est capable de supporter les difficultés, les restrictions, les efforts et la douleur. Le chrétien qui endure toutes ces épreuves, que l'incroyant ou la personne de foi faible considère comme des raisons de se plaindre, a un but plus élevé et plus sacré que n'importe quel athlète.

Nous connaissons tous la grandeur des Saints. Leurs exploits sont reconnus et respectés même par de nombreux non-croyants. Il existe différents grades  de sainteté, mais le plus élevé d'entre eux est le martyre, c'est-à-dire les personnes qui ont subi la mort pour confesser le Christ. Après eux viennent les confesseurs. Ce sont des personnes qui ont souffert pour le Christ, ont subi des tortures mais sont restées fidèles à Dieu. Parmi les confesseurs, beaucoup ont été jetés en prison, comme Saint Théophane le Confesseur, d'autres ont eu la main et la langue coupées, comme Saint Maxime le Confesseur, ou ont eu les yeux crevés comme Saint  Paphnuce le Confesseur... Tout cela, ils l'ont enduré pour le Christ.

Beaucoup diront que d’aussi grandes  œuvres  ne sont pas à la portée de chacun. Cependant, dans l'Orthodoxie, un principe important agit, offrant  à chaque personne la possibilité de devenir saint et d'être comptée parmi les Confesseurs : si quelqu'un célèbre et rend grâce à Dieu pour le malheur dans lequel il se trouve, alors il accomplit l'exploit de la confession. Voici ce que dit saint Païssios du Mont Athos à ce sujet : "Imaginez que je sois né infirme, sans bras ni jambes. Complètement impuissant, ne pouvant même pas bouger. Si j'accepte cela avec joie et gratitude, Dieu me comptera parmi les Confesseurs. Il faut si peu pour que Dieu me compte parmi les Confesseurs. Quand je me heurte moi-même, par ma propre faute, à un mur, et que j'accepte joyeusement ce qui est arrivé, Dieu me compte parmi les Confesseurs. Eh bien, que puis-je encore désirer? Même le résultat de ma propre négligence, si je l’accepte avec joie, Dieu le reconnaît."

 

Ainsi exactement, se prive de grandes possibilités et objectifs, une personne qui est tombée dans l’acédie: celle-ci lui ferme ses yeux spirituels et l'entraîne dans le maugréement.

 

 Le désespoir comme deuxième conséquence de l’acédie

 

Voilà comment se présente  la première conséquence de l’acédie, le maugréement.

Si quelque chose peut être pire ou plus dangereux que lui, c'est la deuxième conséquence dont  Saint Séraphim de Sarov parlait : "Il n'y a pas de pire péché, rien de plus horrible ni plus destructeur, que l'esprit d’acédie". "L’acédie et l'agitation incessante, peuvent détruire les forces de l'âme et la conduire à un épuisement extrême", témoigne Saint Jean Chrysostome. Cet épuisement extrême de l'âme est appelé désespoir, et il représente la deuxième conséquence de l’acédie; l’épuisement découle de celle-ci, seulement si l'homme ne choisit pas à temps, de s'opposer à ce péché. Voici comment les Saints Pères parlent de cette étape :

« Le désespoir est considéré le plus grave de tous les péchés  car il rejette la toute-puissance de notre Seigneur Jésus-Christ, il rejette le salut qu'Il a offert, il démontre que dans cette âme prévalaient auparavant la [seule] confiance en soi et l'orgueil, et que la foi et l'humilité lui étaient étrangères" (Saint Ignace Brianchaninov). « Satan s'efforce délibérément de plonger de nombreuses personnes dans le désespoir, afin de les précipiter en enfer par ce moyen » (Saint Ephrem le Syrien). « L'esprit du désespoir apporte les souffrances les plus graves. Le désespoir représente une joie parfaite pour le diable » (Saint Marc l'Ascète). « Ce n'est pas tant le péché qui tue, mais le désespoir » (Saint Jean Chrysostome). « Tomber dans le péché est l'œuvre de l'homme, désespérer est une œuvre satanique et pernicieuse ; car même le diable a été précipité lui-même dans la perdition par le désespoir, car il n'a pas voulu se repentir » (Saint Nil le Sinaïte).

 

« Le diable nous insuffle des pensées de désespoir pour éteindre l'espoir en Dieu, cette ancre sûre, ce soutien de notre vie, ce guide sur le chemin du Ciel, ce salut des âmes en péril... Le Rusé fait tout pour nous suggérer la pensée du désespoir. Il n'a même plus besoin de se fatiguer à nous vaincre, quand les gens tombés et gisant ne veulent pas lui résister... et l'âme, après avoir sombré dans le désespoir concernant  son propre salut, ne ressent même plus sa précipitation à se noyer dans la perdition » (Saint Jean Chrysostome).

 

Le désespoir conduit directement à la perdition, il précède le suicide, le péché le plus redoutable qui, dès cet instant, conduit l'homme en enfer, un lieu éloigné de Dieu, où il n'y a ni lumière divine, ni joie, mais seulement l'obscurité et une souffrance éternelles... Le suicide est un péché qui ne peut être pardonné, car le suicidé ne peut plus se repentir.

 

"Pendant la souffrance volontaire du Seigneur, deux hommes ont abandonné le Seigneur - Judas et Pierre : l'un l'a trahi, l'autre l’a renié par trois fois. Les deux ont commis le même péché, les deux ont commis un péché grave, cependant, Pierre a été sauvé, Judas perdu. Pourquoi les deux n'ont-ils pas été sauvés ou perdus? Certains diront que Pierre a été sauvé parce qu'il s'est repenti. Cependant, le Saint Évangile nous dit que Judas aussi s'est repenti : "Il fut pris des remords et rapporta les trente pièces d'argent aux grands prêtres  et aux anciens, en disant : j'ai péché, en livrant le sang innocent" (Matthieu 27:3-4) ; cependant, son repentir n'a pas été accepté, mais celui de Pierre l'a été ; Pierre a été sauvé, Judas perdu. Pourquoi? Parce que Pierre s'est repenti avec espoir et confiance en la miséricorde divine, tandis que Judas s'est repenti avec désespoir. C'est un abîme terrifiant! Sans aucun doute, il est nécessaire de le combler d'espoir en la miséricorde divine" (Saint Dimitri de Rostov).

 

« Judas, le traître, plongé dans le désespoir, 'alla se pendre' (Matthieu 27:5). Il a reconnu la puissance du péché, mais il n'a pas reconnu l'ampleur de la miséricorde divine... Beaucoup font de même maintenant, et suivent le chemin de Judas. Ils connaissent la multitude de leurs péchés, mais ils ne connaissent pas la plénitude de la miséricorde de Dieu, et c'est pourquoi ils désespèrent de leur salut. Pour toi chrétien, le désespoir représente le coup de grâce diabolique le plus lourd. Le diable, avant le péché, représente Dieu comme miséricordieux, et après le péché, comme juste. Tel est sa ruse ».  (Saint Tikhon de Zadonsk).

 

De cette manière, tentant l'homme, Satan lui chuchote des pensées : « Dieu est bon, Il pardonnera », mais après le péché, il s'efforce de le plonger dans le désespoir, chuchotant des pensées complètement différentes : « Dieu est juste et te punira pour ce que tu as fait ». Le diable suggère à l'homme qu'il ne pourra plus jamais sortir du puits du péché, qu'il ne sera jamais pardonné par Dieu, qu'il ne pourra obtenir le pardon des péchés, ni se corriger. Le désespoir représente la mort de l'espoir. Si cette mort survient, seul un miracle peut sauver l'homme du suicide.

 

Comment se manifeste l'acédie?

 

Souvent, l'acédie se manifeste dans les gestes mêmes, et dans le comportement d'une personne, principalement par l'expression faciale, appelée "visage sombre" ; des épaules affaissées, une tête baissée, un manque d'intérêt pour ce qui l'entoure et pour sa propre situation. La léthargie et l'inertie sont également caractéristiques. La bonne humeur des gens autour de cette personne provoque en elle l'incompréhension, l'irritabilité et une protestation évidente ou cachée.

 

Saint Jean Chrysostome disait  que « l'âme, submergée par la tristesse, n'est pas capable de dire ou d'entendre quelque chose de sain », et Saint Nil le Sinaïte a témoigné : « Comme un malade ne peut pas supporter un fardeau lourd, de même une personne dans cet état n'est pas capable d'accomplir soigneusement les œuvres de Dieu ; car chez le malade, les forces corporelles sont perturbées, et chez celui-ci, aucune force spirituelle ne subsiste ».

 

Selon les enseignements de Saint Jean Cassien, un tel état de l'homme « ne permet ni d’accomplir la règle de prière avec la ferveur habituelle du cœur, ni de s'engager dans la lecture des Saintes Écritures avec un bénéfice spirituel. Cela ne permet pas d'être paisible et doux envers la fraternité ; pour toutes les obligations et les services religieux, cela rend impatient et incapable, dégrade les sentiments, détruit et étouffe par un pénible désespoir. Tout comme la mite dévore les vêtements, et le ver mange le bois, de même la tristesse nuit au cœur humain."

 

Le Saint énumère ensuite les signes de cet état pécheur et maladif : "De l’acédie naissent le mécontentement, la pusillanimité, l'irritabilité, la paresse, la somnolence, l'agitation, l'errance, l'instabilité de l'esprit et du corps, le bavardage... Celui qui succombe à cela devient paresseux, négligent, sans aucune marque de succès spirituel ; puis il devient instable, vide, négligent en tout acte."

 

Ce sont les signes de l’acédie. Le désespoir présente des symptômes encore plus graves. Une personne en proie au désespoir, c'est-à-dire ayant perdu l'espoir, se livre souvent à la toxicomanie, à l'ivrognerie, à la débauche et à de nombreux autres péchés évidents en se considérant comme déjà perdue. Le dernier signe du désespoir, comme déjà mentionné, est le suicide.

 

Chaque année sur notre planète, un million de personnes mettent fin à leur vie par suicide. Il est terrifiant de penser à ce nombre effroyable… En Russie, le nombre le plus élevé de suicides a été enregistré en 1995. Comparé à cette statistique, le nombre a diminué de 1,5 fois en 2008, mais la Russie demeure parmi les pays ayant le plus grand nombre de suicides.

 

En effet, dans les pays pauvres et instables, le taux de suicide est plus élevé que dans les pays riches et économiquement stables. Ce n'est pas surprenant car les personnes dans la pauvreté ont davantage de raisons de sombrer dans l’acédie. Cependant, même les pays les plus riches et les personnes les plus fortunées ne sont pas à l'abri de cette tragédie. Sous le vernis de la prospérité extérieure, l'âme d'une personne non croyante ressent souvent une vacuité pénible et une insatisfaction constante, comme dans le cas de notre homme d'affaires prospère et notre contemporain, mentionné au début de l’article.

 

D'où provient l'acédie?

 

Cet état émerge de l'absence de confiance en Dieu, de sorte qu'on peut dire qu'il est le fruit d'une foi faible et vacillante. Cependant, examinons d'abord ce qu'est le manque de confiance en Dieu et la petite foi ?  Ils n'apparaissent pas juste comme ça, de nulle part ; ils sont le résultat d'un état où l'homme a une confiance excessive en lui-même, par trop haute opinion de lui-même. Plus un homme compte sur lui-même, moins il a confiance en Dieu. La confiance en soi plutôt qu'en Dieu, est le signe le plus évident de l'orgueil.

 

La première racine donc,  c’est l’orgueil

 

C'est pourquoi le Saint Starets Anatole (Zertsalov 1824-1894) d’Optina disait que le « désespoir est l'enfant de l'orgueil. Si tu te crois capable du pire, tu ne désespéreras jamais, mais tu t'humilieras et te repentiras paisiblement ». « Le désespoir montre le manque de foi  et l'égoïsme qui résident dans le cœur ; celui qui compte uniquement sur  lui-même et croit uniquement en soi-même, ne se relèvera jamais du péché par le repentir" (Saint Théophane le Reclus).

 

Dès que quelque chose se produit dans la vie d'une personne orgueilleuse, et qui révèle son impuissance et l'infondé de sa trop grande confiance en elle-même uniquement [qui ne cherche pas l’aide de Dieu], celle-ci plonge immédiatement dans un état sombre et désespéré. Cela peut arriver pour diverses raisons : par l’amour-propre blessé ou parce que quelque chose ne se réalise pas selon ses désirs ; mais également par vanité,  lorsque l'on voit que des personnes semblables à soi,  bénéficient de plus d'avantages que soi-même ; ou en raison de circonstances difficiles de la vie, comme le dit saint  Ambroise d'Optina.

 

Une personne humble, ayant foi en Dieu, sait que ces circonstances désagréables sont des épreuves qui renforcent sa foi, tout comme les muscles d'un athlète se renforcent à l'entraînement. Une telle personne sait que Dieu est à ses côtés, qu'Il ne permettra pas une épreuve qui ne peut pas être supportée. Celui qui place son espérance en Dieu ne sombrera jamais dans l'acédie, même dans des circonstances difficiles.

 

L'orgueilleux, qui se fie uniquement à lui-même, dès qu'il se trouve dans des circonstances difficiles qu'il ne peut modifier par lui-même, plonge instantanément dans l'acédie, considérant que s'il n'est pas capable de corriger ce qui s'est passé, cela signifie que personne d'autre ne le peut, tout en éprouvant de la tristesse et de l’irritation, car les circonstances ont révélé sa propre faiblesse, qu'il ne peut supporter.

 

C'est précisément parce que l'acédie et le désespoir sont des conséquences, d'une certaine manière, de l'incrédulité envers Dieu, qu'un saint a dit : "Sachez que dans les moments de désespoir, ce n’est pas le Seigneur qui  vous abandonne , mais c'est vous qui abandonnez le Seigneur!"

 

Ainsi, l'orgueil et la petite foi sont parmi les principales causes de l'acédie et du désespoir, mais ils ne sont certainement pas les seuls.

 

Saint Jean Climaque parle de deux types fondamentaux de désespoir survenant pour différentes raisons : "Il y a le désespoir qui provient de nombreux péchés, d'une conscience chargée et d'une tristesse insupportable, lorsque l'âme, à cause de ces blessures nombreuses, s'enfonce et se noie dans les profondeurs du désespoir. Cependant, il y a aussi un désespoir d'une autre sorte, celui qui survient par orgueil et haute opinion de soi, lorsque ceux qui y sont tombés, pensent ne pas mériter leur chute. Du premier, l'abstinence et une bonne espérance, guérissent, tandis que du dernier, l'humilité et la non-condamnation de quiconque, apaisent."

 

La deuxième racine: les passions insatisfaites

 

En ce qui concerne donc le deuxième type de désespoir qui découle de l'orgueil, nous avons expliqué son mécanisme. Que signifie exactement "qui provient de nombreux péchés"?

 

Selon les Saints Pères, ce type d'acédie survient lorsque certaines passions ne trouvent pas de satisfaction. Comme l'écrit Saint Jean Cassien, l'acédie "naît du désir insatisfait d'un certain avantage, lorsque quelqu'un voit qu'il a perdu l’espoir, qu’il s’était lui-même créé en son esprit,  de gagner quelque chose".

 

Par exemple, une personne attachée à la gourmandise  et qui souffre d'un ulcère ou de diabète se trouvera dans un état sombre car elle ne pourra pas se délecter de la quantité de nourriture désirée ou de différentes saveurs ; ou un avare qui ne pourra pas éviter de dépenser de l'argent, etc. L'acédie accompagne presque tout désir pécheur insatisfait, à moins que l'individu ne renonce à ces désirs dans son âme.

C'est pourquoi Saint  Nil le Sinaïte déclare : « Celui qui est vaincu par la tristesse est vaincu par les passions, car la tristesse est la conséquence de la non-réalisation du désir corporel, et le désir est en lien avec chaque passion. Celui qui a vaincu les passions, n'est pas dominé par la tristesse. Tout comme un malade se reconnaît à la couleur de son visage, de même un homme dominé par ses passions est marqué d’une sombre tristesse. Celui qui aime le monde sera profondément attristé. Celui qui ne se soucie pas de ce qui est dans le monde sera toujours joyeux ».

 

Selon la progression de l'acédie,  les désirs eux-mêmes perdent leur importance, laissant un état mental qui recherche désormais des désirs plus grands encore, dont la réalisation est impossible, devenant  une nourriture pour l'acédie elle-même.

Ainsi, selon le témoignage de saint Jean Cassien « nous nous soumettons à une tristesse au point que nous ne sommes même plus capables d'accueillir chaleureusement ni des personnes chères, ni nos proches. Quoi qu'ils disent au cours d'une conversation courtoise, nous semble inapproprié et superflu. Nous ne répondons pas de manière agréable, toute la demeure de notre cœur est remplie de l’amertume de la bile."

 

C'est pourquoi l'acédie est comparable à une boue vivante : plus on s’y enfonce, plus il est difficile de s'en extirper.

 

Autres causes de l'acédie

 

Nous avons décrit ci-dessus les causes de l'acédie chez les non-croyants et les croyants avec peu de foi. Cependant, l'acédie attaque également, bien qu’avec moins de succès, les croyants. Mais pour d'autres raisons.

 

Sur ces causes, Saint Innocent d’Kherson, écrit en détail : « Il y a de nombreuses causes à l'acédie, à la fois externes, et internes. Tout d'abord, chez les âmes pures proches de la perfection, l'acédie peut provenir du fait que la grâce de Dieu les a temporairement abandonnées. L'état de grâce est la plus grande bénédiction, cependant, pour que l'homme qui se trouve dans cet état ne s'imagine pas que c'est en raison de ses propres perfectionnements, la grâce se retire parfois, laissant son protégé à lui-même. Alors pour cette sainte âme il se produit la même chose que lorsque minuit survient au milieu de la journée : l'âme est envahie par l'obscurité, le froid, la léthargie, et avec cela, l'acédie.

 

En deuxième lieu, l'acédie, selon le témoignage de personnes expérimentées dans la vie spirituelle, peut survenir en raison de l'action de l'esprit des ténèbres. Puisqu'il n'a pas pu tromper l'âme sur le chemin du ciel avec les plaisirs de ce monde, l'ennemi du salut se tourne vers l'opposé et la pousse vers l'acédie. Dans un tel état, l'âme est comparable à un voyageur soudainement  pris par un brouillard épais ; elle ne voit rien ni devant  ni en arrière ; elle ne sait pas quoi faire, elle perd son courage, tombe dans l'indécision. »


Le troisième foyer de l'acédie est notre nature déchue, impure, impuissante, mortifiée par le péché. Tant que nous suivons notre égoïsme, tant que nous sommes remplis de l'esprit de ce monde et de passions, cette nature en nous est joyeuse et vivante. Cependant, changez la direction de votre vie, quittez le large chemin du monde pour le chemin étroit du renoncement chrétien, engagez-vous dans la repentance et l'autocorrection : à ce moment-là, un vide se révélera en vous, montrant une impuissance spirituelle, la mort dans l’âme. Jusqu'à ce que l'âme parvienne à se remplir d'un nouvel esprit d'amour envers Dieu et le prochain, l'acédie, dans une mesure plus ou moins grande, est inévitable pour elle. Ce type d'acédie est le plus présent chez les  pécheurs, au moment de leur retour vers Dieu.

 

L'acédie peut aussi survenir en raison de divers événements tragiques de la vie : la mort de proches, de personnes aimées, la perte de son honneur, de sa dignité ou d'autres événements malheureux. Tout cela est, selon la loi de notre nature, lié au déplaisir et à la tristesse pour nous ; cependant, selon cette même nature, cette tristesse doit diminuer avec le temps et disparaître lorsque l'homme ne se livre pas au chagrin. Sinon, l'esprit de l'acédie se forme.

 

L'acédie peut également découler de certaines pensées, notamment sombres et tristes, lorsque l'âme se livre à trop de pensées répétitives, et envisage tout, sans la lumière de la Foi et de l'Évangile. Ainsi, par exemple, une personne peut sombrer dans l'acédie en réfléchissant fréquemment à l'injustice qui règne dans le monde, au fait que les justes souffrent et sont affligés ici, tandis que les méchants sont paisibles et prospères là-bas.

 

En fin de compte, les causes de l’acédie, proviennent des maladies de l'âme ainsi que de diverses maladies du corporelles.

 

Comment combattre l’acédie

 

Le grand saint, Séraphim de Sarov, a dit : « Il est nécessaire de se débarrasser de l'acédie et de s'efforcer d'avoir un esprit de joie, plutôt que de tristesse. Selon la Sagesse de Sirakh: 'Le chagrin en a tué beaucoup, et il n’y a pas en lui de profit' » (Siracide 30:23).

 

Mais comment peut-on se débarrasser de l'acédie? Rappelons-nous du jeune homme d'affaires mentionné précédemment, qui pendant de nombreuses années n'a pas réussi à se libérer de l'acédie qui l'avait envahi. Il a expérimenté par lui-même la vérité des paroles de Saint Ignace (Brianchaninov) : « Les divertissements terrestres ne font qu’étouffer la tristesse, ne la détruisent pas : une fois les divertissements terminés, la tristesse, revigorée, recommence à agir avec une grande force ».

 

Maintenant, il est temps d'expliquer plus en détail cette circonstance particulière, dans la vie de cet homme d’affaires, que nous avons omise auparavant. Sa femme est une personne profondément croyante et exempte de cette obscurité, de cette anxiété impénétrable qui enveloppe la vie du businessman. Lui sait que sa femme est croyante, qu'elle va à l'église et lit des livres orthodoxes, et aussi qu'elle ne souffre pas de dépression. Cependant, pendant toutes ces années qu'ils ont passées ensemble, il ne lui est jamais venu à l'esprit de relier ces faits, et d'essayer lui-même d'aller à l'église, de lire l'Évangile... Il continue, comme auparavant, à consulter régulièrement un psychologue, obtenant un soulagement temporaire mais pas de guérison.

 

Un grand nombre de personnes sont épuisées par cette maladie spirituelle, refusant de croire que la guérison se trouve à proximité. Malheureusement, ce jeune homme en fait partie. Nous aurions aimé écrire qu'un beau jour, il se serait intéressé à la foi qui donne à sa femme la force de ne pas succomber à l’acédie, et de préserver la joie pure de la vie. Hélas, cela ne s'est pas encore produit. Jusqu'à présent, il reste parmi ces malheureuses personnes dont parlait Saint Dimitri de Rostov : « Il n'y a pas de tristesse chez les justes, qui ne se transforme en joie, tout comme il n'y a pas de joie chez les pécheurs, qui ne se transforme en tristesse ».

 

Cependant, si ce businessman se tournait soudainement vers les richesses de la foi orthodoxe, que pourrait-il apprendre sur son état et quels moyens de guérison pourrait-il obtenir?

 

Il apprendrait qu'il existe dans le monde une réalité spirituelle, que des êtres spirituels agissent, que des anges bienveillants coexistent avec des démons malfaisants. Ces derniers, par leur malice, s'efforcent de causer autant de dommages que possible à l'âme humaine, de la détourner de Dieu et du chemin du salut. Ce sont des ennemis qui cherchent à tuer l'homme tant spirituellement que physiquement. Pour atteindre leurs objectifs, ils utilisent divers moyens, parmi lesquels la suggestion de pensées spécifiques et de sentiments, entre autres  les pensées d'acédie et de désespoir.

 

Leur ruse réside dans le fait que les démons s'efforcent de convaincre l'homme que  ses pensées viennent de lui-même. Un homme qui ne croit pas, ou dont la foi est faible, n'est pas du tout préparé à cette tentation, et ne sait pas comment traiter ces pensées ; il les accepte comme étant vraiment siennes. En suivant ces pensées, il s'approche de plus en plus de la ruine - il est comme un voyageur dans le désert qui prend un mirage pour une véritable perspective, commence à le poursuivre, et s'éloigne de plus en plus profondément dans le désert.

 

Un croyant expérimenté spirituellement sait que l'ennemi existe, connaît ses ruses, peut reconnaître ses pensées et les retrancher, combattant et vainquant ainsi avec succès les démons.

 

Une personne submergée par cette passion de l’acédie n'est pas celui qui a parfois des pensées d'acédie, mais quelqu'un qui a été vaincu par elles et qui ne lutte plus. Et inversement, n'est pas libéré de l’acédie, celui qui n'a jamais eu de telles pensées - de telles personnes n'existent pas sur terre - mais plutôt celui qui lutte contre ces pensées et les vainc.

 

Saint Jean Chrysostome a dit : "L'acédie excessive est plus nuisible que n'importe quelle action démoniaque, car si les démons dominent quelqu'un, ils le font à travers l'acédie." Cependant, si l'homme est profondément vaincu par l'esprit d'acédie, si les démons ont acquis un tel pouvoir sur lui, cela signifie alors que l’homme lui-même a agi de manière à leur permettre une telle emprise sur lui.

 

Il a été mentionné précédemment que l'une des causes de l'acédie chez les non-croyants est l'absence de foi en Dieu et, par conséquent, l'absence de lien vivant avec Lui, la Source de toute joie et de tout bien. Cependant, il est rare que l'absence de foi soit quelque chose d'inné chez l'homme.

 

La foi de l'homme est tuée par le péché sans repentir. Si quelqu'un pèche et refuse de se repentir et de renoncer au péché, il perdra inévitablement la foi, tôt ou tard. Et inversement, la foi renaît dans une repentance sincère et la confession des péchés.

Les personnes qui ne croient pas en Dieu se privent elles-mêmes des moyens les plus efficaces pour lutter contre l’acédie: la repentance et la prière. "La prière et la méditation constante de Dieu détruisent l'acédie", écrit Saint  Ephrem le Syrien.

 

Je voudrais souligner les principaux moyens de lutter contre l'acédie dont dispose le chrétien. Saint Innocent de Kherson en parle :

 

1.Quelle que soit l'origine de l'acédie, la prière demeure toujours le premier et le dernier moyen de combat. Dans la prière, l'homme se tient devant le visage de Dieu; de même que lorsqu'on se place face au soleil, on ne peut pas ne pas être éclairé par sa lumière ni ne pas ressentir sa chaleur, de même la lumière et la chaleur spirituelles sont les conséquences directes de la prière. De plus, la prière attire la grâce et l'aide d’en-haut, celles du Saint-Esprit; là où est le Consolateur, il n'y a pas de place pour l'acédie, et la tristesse elle-même servira de source de douceur  spirituelle.

 

2.La lecture ou l'écoute de la parole de Dieu, en particulier du Nouveau Testament, constitue également une arme puissante contre l'acédie. Le Sauveur n'a pas appelé à lui les chargés et les fatigués par hasard, leur promettant la paix et la joie (Mat 11:28). Cette joie n'a pas été emportée avec Lui au ciel, mais a été entièrement laissée dans l'Évangile pour tous ceux qui sont affligés, tous ceux qui sont abattus. Celui qui est pénétré de l'esprit de l'Évangile cesse de sombrer dans une tristesse obscure : l'esprit de l'Évangile est un esprit de paix, de tranquillité et de réconfort.

 

3.Les offices liturgiques, et en particulier les sacrements de l'Église, représentent également un remède puissant contre l'esprit d'acédie : car dans le temple, qui est  la maison de Dieu, il n'y a pas de place pour elle. Tous les sacrements sont dirigés contre l'esprit des ténèbres et de faiblesse de notre nature, en particulier les sacrements de la confession (pour comprendre le sens du sacrement de la confession cliquer sur ce lien) et de la communion. En se déchargeant du poids des péchés par la confession, l'âme ressent la légèreté et le réconfort ; en recevant au cours de la Liturgie le Corps et le Sang du Seigneur, elle ressent la vivification et la joie.

 

4.Les conversations avec des personnes riches d’esprit chrétien, sont l'un des moyens de lutter contre l'acédie. Dans ces conversations, nous sortons plus ou moins des profondeurs intérieures sombres dans lesquelles l'âme plonge à cause de l'acédie; en outre, grâce à un changement de pensées et de sentiments au cours la conversation, nous puisons une certaine force et vitalité de la part de ces personnes qui parlent avec nous, ce qui est tellement nécessaire dans l'état de l'acédie.

 

5. La réflexion autour des sujets réconfortants. La pensée lors d’un état d'âme sombre ne fonctionne pas du tout ou tourne autour d'objets tristes. Pour se libérer de l'acédie, il est nécessaire de se forcer à réfléchir à quelque chose de contraire [vivifiant].

 

6. L'activité physique chasse également l'acédie. Engagez-vous dans un effort même à contrecœur ; que le travail se poursuive, même sans succès : les mouvements au début ravivent le corps, puis l'esprit, une vivacité sera ressentie ; la pensée, à cause de l'effort physique, se séparera imperceptiblement des objets qui provoquent l'anxiété, et cela est d'une grande importance dans l'état d'acédie.

 

La prière

 

Pourquoi la prière représente-t-elle le moyen le plus efficace contre l'acédie? Pour plusieurs raisons.

 

Tout d'abord, lorsque nous prions pendant les périodes d'acédie, nous luttons ainsi contre les démons qui tentent de nous plonger dans cet état. L'esprit malin cherche à nous pousser au désespoir et à nous éloigner de Dieu, c'est son intention ; en priant à ces moments-là, nous déjouons les ruses de l'ennemi, montrant que nous ne sommes pas tombés dans son piège, que nous ne nous sommes pas livrés à lui, mais au contraire, que nous utilisons ses manœuvres comme une occasion de renforcer encore davantage notre lien avec Dieu, lien que le démon a tenté de rompre.

 

En deuxième lieu, puisque l'acédie est dans la plupart des cas la conséquence de notre orgueil, la prière nous aide à guérir de cette passion, c'est-à-dire de parvenir à arracher la véritable racine de l'orgueil du sol de notre cœur. Chaque prière humble comportant une demande d'aide à Dieu, même aussi courte que "Seigneur, aie pitié!", signifie que nous reconnaissons notre faiblesse et notre limite, que nous commençons à faire confiance à Dieu, plus qu'à nous-mêmes. Ainsi, chaque prière simple, même prononcée avec effort de volonté, représente un coup porté à l'orgueil, semblable à un coup de masse gigantesque, abattant les murs de vieilles maisons.

 

Enfin, en troisième lieu et qui est de loin le plus important :  la prière est une aide, parce qu'elle est une communion avec Dieu, le Seul capable de vraiment aider dans toutes les situations, même les plus désespérées, Celui qui a le pouvoir de donner une consolation et une joie véritables, de se libérer de l'état pesant de l'acédie. "Dans les difficultés et les épreuves, le Seigneur nous aide. Il ne nous en libère pas, mais nous donne la force de les supporter facilement, voire de ne pas les remarquer du tout. Si nous sommes avec le Christ et en Christ, aucune tristesse ne nous troublera, mais la joie remplira notre cœur, de sorte que même pendant la tristesse, et en temps d'épreuve, nous nous réjouirons" (Saint Nikon d'Optina).

 

Quelles prières sont recommandées pour lutter contre l'acédie?

 

Certains suggèrent des prières à l'Ange Gardien (cliquez sur le lien pour y accéder qui est toujours invisiblement à nos côtés, prêt à nous soutenir. D'autres conseillent la lecture de l'Acathiste à  Notre Seigneur Jésus-Christ (vous y accéderez en cliquant sur le lien). Il est également recommandé de répéter fréquemment la prière "Réjouis-toi, pleine de grâce" (cliquez pour y accéder) , avec la conviction ferme que le Seigneur, par les prières de Sa Très Sainte Mère, apportera la paix à notre âme. Un conseil important vient de Saint Ignace Briantchaninov, qui recommandait pendant l'acédie de répéter souvent les paroles suivantes et des prières :

 

  • "Gloire à Dieu pour tout."
  • "Seigneur, je me remets à Ta sainte volonté! Que Ta volonté soit faite en moi!"
  • "Seigneur, je Te remercie pour tout ce que Ta providence a bien voulu m'envoyer."
  • "Je recevrai ce que j’ai mérité par mes actes ; souviens-Toi de moi, Seigneur, dans Ton Royaume. »

 

Les Saint Pères ont enseigné qu’il est très difficile, pendant l’emprise de l'acédie, pour l'homme de prier. C'est pourquoi tout le monde n'est pas capable de suivre de longues règles de prière, mais chacun peut réciter ces courtes prières recommandées par Saint Ignace; ce n'est pas difficile.

 

En ce qui concerne l'absence de désir de prier pendant l'acédie et le désespoir, il est nécessaire de comprendre que ce sentiment n'est pas le nôtre, qu'il nous est apporté par le démon dans le but précis de nous priver des armes par lesquelles nous pouvons le vaincre.

 

Saint Tikhon de Zadonsk parle de cette absence de désir de prier pendant l'acédie comme suit : "Je te conseille ceci : persuade-toi et force-toi à la prière et à toute bonne action, même si tu n'en as pas envie. Comme on contraint un cheval paresseux à avancer ou à courir, de même nous devons nous contraindre à chaque bonne action, surtout à la prière. En voyant un tel effort et une telle diligence, le Seigneur nous donnera le désir et la ferveur."

 

Parmi les quatre prières recommandées par Saint Ignace, deux consistent en l’action de grâce. Pourquoi nous les recommande-t-il? Le Saint explique : "En particulier, en remerciant Dieu, on chasse les pensées de tristesse ; lorsque de telles pensées surviennent, l'expression de gratitude est prononcée avec des paroles simples, avec attention et fréquemment, jusqu'à ce qu'elle apporte la tranquillité au cœur. Les pensées de tristesse n’apporte aucun avantage : elles ne libèrent pas de la douleur, elles n'apportent aucune aide, elles ne font que nuire à l'âme et au corps. Ainsi, ces pensées proviennent des démons et il est nécessaire de les chasser... La gratitude apaise d'abord le cœur, apporte ensuite du réconfort, et enfin, elle apporte une joie céleste – un gage de joie éternelle".

 

Pendant le désespoir, les démons chuchotent à l'homme que pour lui, il n'y a pas de salut, que ses péchés ne peuvent pas être pardonnés. Il s'agit du plus grand mensonge démoniaque!

 

"Que personne ne dise : «J'ai beaucoup péché, il n'y a pas de pardon pour moi». La personne qui parle ainsi oublie Celui qui est venu sur terre pour les affligés et a dit: « Il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. » (Lc 15:10) et « Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent. » (Lc 5:32)", nous enseigne Saint  Ephrem le Syrien.

 

Aussi longtemps qu’il est en vie, il est vraiment possible pour l'homme de se repentir et d'obtenir le pardon de ses péchés, quel que soit leur gravité, et, ayant obtenu le pardon, de transformer sa vie, de la remplir de joie et de lumière. Les démons s'efforcent précisément de priver l'homme de ces possibilités en lui chuchotant des pensées de désespoir et de suicide, car après la mort, la repentance n'est plus possible.

 

Ainsi, « aucun être humain, même celui qui a atteint le dernier degré du mal, ne doit désespérer, même s'il en a acquis l’habitude, et est entré dans la nature même du mal »(Saint Jean Chrysostome).

 

Saint Tikhon de Zadonsk explique que l'épreuve de l'acédie et du désespoir rend le chrétien plus prudent et expérimenté dans la vie spirituelle. Et «plus longtemps  dure … cette épreuve… plus elle est bénéfique pour l'âme ».

 

Le chrétien orthodoxe sait que plus la tristesse est pesante par rapport à toutes les autres épreuves, plus grande est la récompense pour ceux qui endurent cette condition avec patience. Dans la lutte contre l'acédie, les plus grandes couronnes sont accordées. C'est pourquoi, « nous ne devons pas perdre courage lorsque des difficultés et des chagrins surviennent, mais au contraire, nous devons nous réjouir car nous suivons le chemin des saints », nous conseille le saint Éphrem le Syrien.

Dieu est toujours à côté de chacun d’entre nous. Il ne permet pas aux démons de vaincre l'homme par l'acédie autant qu'ils le voudraient. Il nous a donné la liberté et veille à ce que personne ne nous retire ce don. Ainsi, à tout moment, l'homme peut se tourner vers Dieu pour obtenir de l'aide et exprimer son repentir. Si l'homme ne le fait pas, c'est son propre choix ; les démons ne sont pas capables de prier Dieu.

 

À la fin, nous aimerions ajouter une prière composée par Saint Dimitri de Rostov spécialement pour les personnes qui souffrent de l'acédie :

 

«Dieu, Père de notre Seigneur Jésus-Christ, Père de miséricorde, et Dieu de toute consolation, Consolateur dans chaque détresse! Console toute personne affligée, triste, désespérée, accablée par l'esprit d’acédie. Chaque être humain a été créé par Tes Mains, par Ta Sagesse Suprême Tu as donné à chacun la  sagesse, chacun  a été élevé par Ta Droite, glorifié par Ta Miséricorde... Mais maintenant, Ton châtiment paternel, sous  forme d'une tristesse temporaire, a visité ceux que Tu aimes. Tu punis avec compassion ceux que Tu chéris, et Tu vois leurs larmes! Ainsi, après avoir châtié, aie pitié, et console notre tristesse ; transforme le chagrin en allégresse et dissipe notre tristesse par la joie ; émerveille-nous par ta grâce, ô Maître sage, insondable dans Tes jugements, Seigneur, béni dans Tes œuvres pour les siècles des siècles, Amen. »

             

La lutte contre les pensées

(Annexe de Saint Ignace de Brianchaninov[i])

 

Élevez-vous sur les ailes de la foi au-dessus de l'obscur abîme des afflictions qui s'est soudainement dressé devant nous! Ne vous abandonnez pas aux pensées sceptiques humaines, mais avancez courageusement du pas ferme de la foi, et les vagues douces et humides sous vos pieds se transformeront en dalles solides de marbre ou de granit. Ne craignez pas et ne doutez pas en voyant la mer de la souffrance et le vent fort, car Celui qui vous appelle à marcher sur cette mer et qui vous sépare, par cette démarche,  de vos frères, est le Seigneur lui-même. Cet appel est en même temps un choix béni! Christ "marque les Siens" du sceau de la souffrance! Il a trouvé que votre âme a besoin de Lui et c'est pourquoi Il la marque de Son sceau! Car le petit troupeau, la part du Christ, se tient séparé de la multitude des autres hommes ; ceux qui appartiennent au Christ tiennent dans leurs mains la coupe du Christ, signe qu'Il les a choisis ; sur leurs épaules repose la Croix du Christ.

 

Bien loin, bien loin d’eux, sont les fils de ce monde! Dans une foule innombrable, bruyante et enivrée du monde, ils poursuivent des soucis et des plaisirs éphémères. Le temps s'est transformé en éternité à leurs yeux. Ils traversent la vie sans douleur, progressant vers ce qui est périssable, oubliés par Dieu, ne luttant pas contre le diable : ils sont agréables au diable, ils sont sa part. La Coupe du Christ ouvre l'accès au domaine de la sagesse spirituelle, de la spiritualité, et celui qui y entre et se nourrit à la table de la consolation spirituelle devient mort pour le monde, insensible aux souffrances et privations passagères. Il commence à parcourir sa pérégrination terrestre comme si les ailes de la foi le portaient dans les airs, au-dessus de tout le reste. Les chaînes de l'intellect nous enchaînent à la terre dans la région des tourments. Puisque nous sommes sur terre, nous sommes soumis malgré nous aux tourments. La foi, quant à elle, sépare de la terre, libère des chaînes, délivre des tourments, élève vers le ciel, introduit dans la paix spirituelle. Ceux qui sont entrés dans cette paix se reposent à l'ombre, se délectant de la vision précieuse de Dieu.

 

Recevez ces lignes que je vous adresse avec empathie, une empathie que votre âme a déjà suscitée en moi lors de notre première rencontre, car elle porte en sa profondeur un gage particulier : un gage mystérieux, ami de Dieu, un gage de chercheur de Dieu. Recevez ces lignes de la terre de souffrance où je me suis installé il y a bien longtemps ; il n'était pas agréable à Dieu que j'emprunte ce chemin commun et habituel! Il m'a placé sur un sentier séparé, dans une région tout à fait différente, et je rencontre rarement un voyageur qui emprunte ce sentier, qui a visité cette terre, et avec qui je pourrais échanger dans cette langue, qui m’est devenue en quelque sorte proche, et qui résonne de manière apaisante à l'oreille de mon âme, car dans ses voix, j'entends quelque chose qui me semble familier.

Que se passe-t-il, entre autres, dans cette terre merveilleuse? Là-bas, une guerre implacable fait rage, des batailles incessantes et des combats sanglants opposent les Israélites aux peuples étrangers. Parmi ces étrangers, émergent des géants, les fils d'Anak, [correspondant aux] souffrances qui suscitent en nous la peur, la faiblesse et le désespoir. L’espion israélite, l’esprit, informe ainsi l'âme et son armée: « et nous y avons vu les géants, enfants d'Anak, de la race des géants: nous étions à nos yeux et aux leurs, comme des sauterelles ». (Nombres 13:33) « Nous ne pouvons pas aller contre ce peuple, car il est plus fort que nous ». Exactement! La réflexion basée sur le cours habituel des événements suscite la peur et des horreurs provenant de cette autre terre. Mais le véritable Israélite, fidèle à Dieu, est guidé par sa foi en Dieu. Il est formé pour toutes les armes. « J'abattrai mes ennemis, » , crie-t-il, « je les atteindrai et ne reviendrai pas tant qu'ils ne seront pas détruits. Ils tomberont devant mes pieds. » Dans cette guerre, les nombreuses et belles pensées qui sont imposées à un esprit qui met sa confiance en lui-même et en sa force, au nombre de ses sublimes connaissances, ne suffisent pas à s'opposer aux hordes envahissantes des tribus étrangères. Les fils d'Éphraïm, archers d'élite, se sont enfuis, le jour du combat, comme le dit le Prophète (Psaumes 77:9). La pensée humaine ne résistera pas devant les rangées denses d’étrangers! Ils la surpasseront, provoqueront la perturbation dans son esprit et la confusion dans ses pensées, et la victoire sera alors de leur côté!

 

Pour réussir dans la lutte invisible contre les princes de l'air, les esprits du mal et les seigneurs obscurs du monde, il faut prendre les armes offertes par la foi : "Car la folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que la force des hommes." (1 Corinthiens 1:25). Les voies et les enseignements de la foi semblent étranges et effrayants pour l'esprit charnel, mais dès que l'homme, par l’expérience d’une sensation intérieure de l'âme, perçoit la puissance de la foi, il se soumettra rapidement et joyeusement à sa direction, comme quelqu'un qui a découvert inopinément un précieux enseignant et repousse avec mépris la sagesse humaine rejetée par Dieu.

 

Voici les armes que la "folie sacrée" des prédications du Christ confie au serviteur du Christ pour lutter contre les fils d'Anak, les pensées obscures et le sentiment de tristesse, qui surgissent dans l'âme sous la forme de terribles géants prêts à l’écraser et à le dévorer :

 

  • Dites en premier  : "Gloire à Dieu pour tout."

 

  • Dites ensuite : "Seigneur! Je me soumets à Ta sainte volonté! Que Ta volonté soit faite en moi!"

 

  • Troisièmement, dites : "Seigneur! Je Te remercie pour tout ce que Tu juges bon de m'envoyer."

 

  • Quatrièmement, dites : "Je recevrai ce que j'ai mérité par mes actes ; souviens-Toi de moi, Seigneur, dans Ton Royaume."

 

Ces paroles brèves, empruntées comme vous le voyez à la Sainte Écriture, étaient efficacement utilisées par les saints moines contre les pensées de tristesse. Les pères ne se prêtaient en aucune manière à la discussion au sujet des pensées qui leur apparaissaient; mais dès qu'un ennemi [pensée négative] se tenait devant eux, ils saisissaient cette arme miraculeuse et la brandissaient directement vers le visage de l'ennemi, droit à la mâchoire! C'est pourquoi ils étaient si puissants, c'est pourquoi ils écrasaient tous leurs ennemis, et par la foi, avec la force de grâce, ils accomplissaient des exploits surnaturels.

 

Lorsque des pensées tristes ou la tristesse apparaissent dans le cœur, commencez de toute votre âme, avec toute votre force, à prononcer certaines des paroles mentionnées ci-dessus. Prononcez-les doucement, sans hâte, avec attention, jusqu'à ce que l'étranger [l’ennemi] s'éloigne complètement, et que votre cœur vous informe de l'arrivée de l'aide gracieuse de Dieu. Cela se manifeste dans l'âme comme le goût d'une paix douce et réconfortante, une paix en Dieu.

 

Au fil du temps, l'étranger commence à s'approcher de nouveau, mais saisissez alors à nouveau vos armes, et comme l'a recommandé le brillant commandant César à ses soldats, visez l'ennemi droit au visage – aucune partie du corps ne reçoit les coups aussi durement et insupportablement que le visage. Ne laissez pas l'arme de David vous paraître étrange et faible. Utilisez-la tout simplement, et vous en verrez les résultats! Ces armes, le bâton et la pierre, accompliront davantage que toutes les compilations, les réflexions sages, et les recherches des théologiens théoriciens allemands, espagnols, anglais et américains! L'utilisation d'armes en action vous guidera progressivement du chemin de la raison vers le chemin de la foi, et sur ce chemin, vous serez introduit dans une terre spirituelle indescriptible et merveilleuse. Là se trouve la Table du mystérieux Pain céleste ; sur cette Table, selon le témoignage de la Sainte Écriture, le Christ n'invite que les vainqueurs. Vous êtes engagés dans une guerre invisible afin de gagner l'opportunité de devenir vainqueur et d'hériter des trésors spirituels. Tout cela vous est rendu possible par le Christ qui vous a aimé et clairement distingué parmi "les Siens".

 

Ainsi, alors que vous contemplez encore depuis le rivage, l'obscur et profond océan de la souffrance, cette étendue où le bleu de la mer se fond avec celui du ciel, cet infini qui effraie la foi, tandis que vous écoutez encore le discours colérique des vagues, leur ressac monotone et insensible, ne vous abandonnez pas à l’acédie, ne laissez pas dans votre âme la mer des pensées mélancoliques s'installer. Beaucoup de dangers se cachent là! Il est bien plus facile de sombrer dans cette mer que dans l'océan des tourments visibles.

 

Réjouissez-vous! Et je vous le dis encore : réjouissez-vous! Vous vous trouvez sur le rivage de l'océan de la souffrance pour vous permettre  de nager vers la terre de la joie : l'espace marin a une autre rive, bien que celle-ci ne soit pas visible pour les yeux charnels humains. Cette rive est le paradis spirituel, comblé de délices spirituelles. Ceux qui atteignent cette rive bénie, enivrés de béatitude, oublient toutes les afflictions endurées en mer. Posez fermement le pied dans le léger bateau de la foi, et volez au-dessus des vagues comme sur des ailes. Plus rapidement que vous ne l'imaginez et que vous ne pouvez le concevoir, vous traverserez la mer pour entrer au paradis. Cependant, entre le paradis spirituel et la vie corporelle et psychique ordinaire, que vivent tous les êtres humains, est posé, semblable à une frontière qui est comme un vaste océan, la croix et la crucifixion. Il n'y a pas d'autre chemin vers le paradis! Lorsque Dieu veut introduire quelqu'un au paradis, il commence d'abord par le guider sur le chemin, qui est la croix. "L'insigne de l'élection divine est, —dit un saint écrivain ascétique— le fait que l'homme est constamment confronté à  la souffrance." Supportons la mortification pour le monde à travers les souffrances, afin de devenir capables de la véritable vivification pour Dieu à travers l'action manifeste de l'Esprit. Sacrifions le périssable pour l'Esprit! Abandonnez-vous totalement à Dieu! Jetez-vous dans l'abîme salutaire de la foi, comme d'une falaise dans la mer!

 

Laissez de côté les humains, ils sont des instruments de la Providence! Ces instruments sont aveugles, dépourvus de toute puissance intrinsèque, de tout mouvement par eux-mêmes. "Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi, — a dit le Seigneur à Pilate—, si tu ne l’avais reçu d’en haut" (Jean 19:11), bien que Pilate, guidé par le raisonnement humain, (en cela, tous ceux qui se laissent guider par un tel raisonnement s'accorderaient sans doute avec lui) ait affirmé avoir le pouvoir de crucifier le Prisonnier qui se tenait devant lui et de le libérer. Ne vous souciez pas des relations avec les gens, ne cherchez pas à vous justifier devant eux! De tels rapports et justifications ne font que perturber la paix du cœur, sans apporter aucun bénéfice. Les êtres humains sont fragiles, tels des fleurs qui apparaissent brièvement à la surface de la terre!

 

Vous fantasmez beaucoup sur vous-même, vous vous attribuez beaucoup de mérites, et pourtant vous êtes un être humain impuissant. Vous êtes dotés d'indépendance, mais en même temps, vous ne cessez pas d'être des instruments, des instruments aveugles et obéissants! Et le fait que vous soyez des instruments, vous n'en êtes même pas conscients! Vous êtes indépendants, certes! Et vous ne pouvez pas éviter de recevoir une rétribution pour vos actes. Cependant, sur les chemins infiniment sages de Dieu, de tels individus indépendants n'ont en réalité aucun pouvoir ni indépendance. "Jésus de Nazareth...", disait l'apôtre saint Pierre aux Judéens, " livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies." (Actes 2:23). "D’ailleurs, frères, je sais bien que vous ayez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs. Mais Dieu a ainsi accompli ce qu’il avait d’avance annoncé par la bouche de tous les prophètes : que le Christ, son Messie, souffrirait." (Actes 3:17-18). Dans l'œuvre de la Providence divine, les humains sont des instruments aveugles. C'est pourquoi le Seigneur n'imposait aucune responsabilité aux personnes qui manifestaient extérieurement une autorité! C'est pourquoi Il a appelé la coupe que les malfaiteurs Lui avaient préparée, ainsi que les  démons, corporels et incorporels, la coupe tendue par le Père.

 

Prenez ces lignes comme l'écho d'une âme qui compatit sincèrement avec vous, qui partage votre souffrance et vous souhaite sincèrement le réconfort du Seigneur.

 

[i] Saint Ignace Briantchaninov, "La voix de l'éternité - Lettres aux moines et aux laïcs sur la vie spirituelle", Lettre 114, À l'attention du père confronté à des épreuves. À propos de la lutte contre les pensées

 

vaskrsenje

 

La Résurrection 



03/03/2024

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