Paroisse Orthodoxe de l'Annonciation Angers

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La confession orthodoxe – Le repentir – La pénitence – Maladie spirituelle

Christ et pêcheur

 

La confession orthodoxe – Le repentir – La pénitence

Maladies spirituelles

 

 

Le texte ci-dessous est un extrait du livre « Thérapeutique des maladies spirituelles » Jean-Claude Larchet p. 320-330, édition CERF,  1997

 

Par le sacrement de pénitence les péchés qui ont été commis après le baptême sont pardonnés, et le pénitent se trouve réconcilié avec l'Église. Le pécheur, dans un esprit de repentir qui manifeste son regret des fautes commises et sa volonté de s'amender, fait l'aveu de ses péchés à Dieu en présence du prêtre, et reçoit de Dieu, dont le prêtre invoque le pardon, l'absolution de ses fautes. Il reçoit aussi du confesseur des conseils spirituels appropriés à son état, et éventuellement une épitimie (1) (exercice pénitentiel), dont le but est de l'aider à retrouver la voie des vertus qu'il avait quittée.

 

Ce qui frappe d'emblée en examinant la conception et la pratique chrétiennes du sacrement de pénitence, c'est le caractère médicinal qu'elles revêtent. Non seulement les Pères, mais encore toute la tradition de l’Eglise et les textes rituels et liturgiques évoquent en termes médicinaux la forme et les effets de ce sacrement aussi bien que la fonction de prêtre qui le confère.

 

« Tu es venu vers le médecin; prends garde de t’en retourner non guéri », dit le confesseur au pénitent dans la prière préliminaire. Parlant de la période  byzantine, le Père Jean Meyendorff écrit : «Confession et pénitence étaient avant tout interprétées comme des formes de guérison spirituelle», ceci découlant logiquement du fait que «dans l'anthropologie chrétienne orientale, le péché lui-même est d'abord une maladies.» Et Père Lain Entralgo note dans le même sens : «Au milieu du IIIe siècle, le pécheur et le péché sont considérés comme s'il s'agissait d'un malade et d'une maladie. Les textes qui le manifestent sont nombreux et impressionnants.

Selon la Didascalie, l'évêque (à qui incombait dans les premiers siècles la charge d'entendre les confessions et de donner l'absolution) doit être «comme un médecin compétent et compatissant ».

 

Les Constitutions apostoliques, qui sont pour l'essentiel une compilation, faite à la fin du IVe siècle, de la Didascalie, de la Didaché et des Diataxeis (ou Tradition apostolique), développent la même conception. On y trouve notamment ces conseils: «Il nous faut secourir les malades, ceux qui sont en danger et ceux qui chancellent, et autant que possible les guérir par la prédication de la Parole, et les délivrer de la mort. En effet : «Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin, mais ceux qui vont mal ( Mt 9, 12) ». « Que l'évêque [...] accueille et soigne ceux qui se repentent de leurs péchés.» «Qu'il guérisse [la brebis] qui est malade (...]. Qu'il panse celle qui est blessée, c'est-à-dire celle qui est égarée, abattue, ou brisée dans les péchés, au point de boiter sur le chemin, qu'il la panse par des paroles d'encouragement, qu'il l'allège de ses fautes et lui rende l'espoir .»              Et s'adressant à lui : «L'Église de Dieu, c'est la paix sereine. En déliant les pécheurs, réintègre-les sains et irréprochables ; en médecin expérimenté et compatissant, guéris tous ceux qui sont accablés par leurs péchés puisque tu es le médecin de l’Eglise du Seigneur, assure des soins adaptés à chacun des malades, de toute manière, soigne, guéris, et réintègre-les en bonne santé dans l’Église », « en medecin compatissant, soigne tous les pécheurs, sers-toi de méthodes salutaires pour les secourir, non seulement en coupant, en brûlant ou en appliquant des caustiques, mais aussi en posant bandages et pansements, en administrant des remèdes doux et cicatrisants et en humectant par des paroles encourageantes. Mais si la blessure est profonde, traite-la au moyen d'emplâtres pour que les enflures se réduisent au niveau de la partie saine ; si elle est infectée, alors purifie-la avec des caustiques, c'est-à-dire par des reproches ; si elle se boursoufle, désenfle-la par un emplâtre âcre, la menace du jugement; si la plaie se gangrène, cautérise-la et extirpe l'abcès en infligeant des jeûnes ». 

 

Ces derniers conseils sont assez proches de ceux que saint Cyprien de Carthage donne au prêtre lorsqu'il lui demande de se montrer vis-à-vis des maladies de l'âme aussi énergique et radical que le médecin vis-à-vis des abcès du corps : «Le prêtre du Seigneur doit employer des remèdes curatifs. C'est un mauvais médecin, celui qui traite avec douceur les abcès tuméfiés et qui laisse le poison proliférer dans les parties internes du corps. La blessure doit être ouverte et incisée et, après l'ablation des parties gangrenées, doit intervenir une cure énergique. Et même si le malade proteste, crie et se lamente parce qu'il ne peut supporter la douleur ; ensuite, il remerciera le médecin dès qu'il se sentira en bonne santé.»

 

Beaucoup d'autres Pères évoquent le sacrement et le rôle du confesseur dans des termes semblables. A ceux qui ont péché, saint Jean Chrysostome conseille : «Entrez à l'Église, faites-y pénitence : là réside le médecin qui guérit et non pas le juge qui condamne; là, on n'exige pas le châtiment du péché, mais on octroie la rémission.»

 

Saint Anastase le Sinaïte, de son côté recommande de «trouver un homme spirituel expérimenté., capable de nous guérir, pour que nous nous confessions à lui».

Comme le médecin, le confesseur doit veiller à adapter à chaque cas le remède qui convient. Nous avons vu que les Constitutions apostoliques lui recommandent : «Puisque tu es médecin de l'Eglise du Seigneur, assure des soins adaptés à chacun des malades. Cela est d’autant plus important que comme le fait remarquer Saint Jean Climaque, «parfois, ce qui est remède pour l’un est un poison pour l'autre : et quelquefois ce que l'on administre à une même personne lui sert de remède si c'est au moment opportun, mais donné à  à contre-temps devient poison ».  Et de citer des exemples: «J'ai vu un médecin malhabile qui, en humiliant un malade profondément abattu, ne réussit qu'à le jeter dans le désespoir. Et j'ai vu un habile médecin opérer un cœur orgueilleux avec le scalpel de l'humiliation et le vider ainsi de toute son infection. » I lest donc nécessaire de tenir compte «des particularités individuelles, soit de la volonté de celui qui commet le péché, soit du lieu où il le commet, soit des progrès spirituels de celui qui le commet et de beaucoup d'autres circonstances». Le Concile in Trullo (3) (692) met l'accent sur cette nécessité, et il le fait en utilisant de même dans ses formulations des termes appartenant au domaine de la médecine, ce qui manifeste avec évidence que la conception du péché comme maladie et du prêtre comme médecin n'est pas une simple figure de style propre à quelques Pères seulement, mais s'est trouvée entérinée par toute l'Église et appartient essentiellement à la façon même dont elle conçoit la nature de ces réalités : «Il faut que celui qui a reçu de Dieu le pouvoir de délier et de lier, considère la nature du péché et la ferme résolution de conversion chez celui qui a péché, et ainsi donne un remède approprié à la maladie: de peur que si dans un sens ou dans un autre il manquait de mesure, il ne porte préjudice à la santé de celui qui est malade. En effet, la maladie du péché n'est pas simple, mais complexe et multiforme, et fait pousser de nombreux rejets du mal : par eux, le mal se diffuse largement et continue à s'étendre jusqu'à ce qu'il soit arrêté par l'intervention du médecin. C'est pourquoi celui qui fait profession de la science de la médecine de l'âme doit observer d'abord les dispositions de celui qui a péché, et considérer s'il s'oriente vers la guérison ou si au contraire, par sa propre manière de vivre, il favorise la maladie en lui-même, comment, entre temps, dans sa vie, il est soucieux de se montrer raisonnable et de se convertir : et s'il ne résiste pas au médecin, et si la plaie de l'âme n'augmente pas par l'application de remèdes; et ainsi il faut que la miséricorde lui soit accordée selon qu'il le mérite. En effet, Dieu fait tout, et aussi celui à qui a été confiée la charge de berger pour ramener la brebis égarée, pour soigner celui qui a été blessé par le serpent, pour ne pas le pousser à travers les précipices du désespoir, et ne pas le pousser non plus vers la destruction de  la vie et son mépris en relâchant les freins : mais pour qu’il lutte contre le mal uniquement par le moyen de médicaments soit plus forts et plus astringents, soit plus doux et plus apaisants, et pour qui travaille a la cicatrisation de la plaie, examinant les fruits du repentir et dirigeant et gouvernant sagement l'homme qui est appelé a un éclat supérieur. Il faut en effet que nous sachions les deux choses : celles qui relèvent du droit strict et celles qui appartiennent à l'usage; or, chez ceux qui n'acceptent pas les mesures extrêmes, il faut suivre la tradition, comme nous l'enseigne saint Basile». 

 

La confession se révèle constituer une thérapeutique efficace de plusieurs façons et à plusieurs niveaux. L'aveu des péchés, tout d'abord, est par lui-même libérateur.

Tant qu'elle n'est pas reconnue et même tant qu'elle n'est pas dévoilée à autrui, la faute s'enracine dans l'âme, s'y développe et s'y répand par contagion, rongeant et empoisonnant la vie intérieure, causant partout d'importants ravages. Elle est pour l'homme une charge difficile à porter seul, d'autant que ses effets se manifestent souvent par des troubles qu'il peut mal cerner et se montre impuissant à maîtriser. Elle est principalement source d'anxiété, voire d'angoisse, surtout en raison du sentiment de culpabilité qui l'accompagne généralement, mais aussi parce qu'elle suscite et entretient l'activité des démons qui, profitant de ce terrain morbide, sèment le trouble dans l'âme par tous les moyens. Elle amène alors souvent le sujet à se dévaloriser, à avoir une vision pessimiste de son être et de son existence ; elle engendre en lui un état d'abattement et de découragement, et peut même le conduire jusqu'au désespoir.

 

Par la rencontre du prêtre au sein du sacrement, le pénitent trouve la possibilité de rompre son isolement, de sortir de la solitude morbide qui offrait un terrain favorable au développement de ses maux. En lui parlant de ce qui le trouble, il ouvre l'abcès qui le rongeait secrètement. Ce simple fait d'aller vers l'autre, d'oser s'ouvrir à lui en toute humilité et en vainquant toute honte, de s'accuser sans merci devant lui en dépassant tout amour-propre, constitue déjà un pas important pour sortir de l'univers morbide de la faute.

 

D'autre part exprimer en les formulant les maux dont on souffre possède un effet libérateur. « Tant que je me suis tu, mes os se consumaient.. Je t’ai fait connaitre mon péché, je n’ai pas caché mon iniquité. J’ai dit : ‘j’avouerai mes transgressions au Seigneur ‘, et Tu as effacé mon péché » dit le psalmiste (Ps 31,5). En confessant ses maladies spirituelles, le pénitent les fait sortir de lui-même, il les objective et s’en désolidarise: il rompt les liens qui l'unissaient à elles et l'y aliénaient. Elles cessent d’habiter son monde intérieur et de parasiter son âme pour lui devenir déjà étrangères. De ce fait, la stratégie des démons se trouve bouleversée: ils ne peuvent plus agir dans le secret ; le royaume des ténèbres dont ils sont les princes étant brusquement éclairé, leur pouvoir s'estompe car leurs voies sont révélées. Ils se voient expulsés de l'âme avec le péché qui les nourrissait.

 

La portée thérapeutique de la confession est d'autant plus grande que, dans sa forme traditionnelle  —telle que l'Église orthodoxe a su la préserver—, celle-ci ne consiste pas dans l'énumération sèche et figée d'un catalogue de péchés plus ou moins artificiellement constitué. Le pénitent confesse spontanément, d'une manière directe et vivante, ses fautes et ses déficiences en en rapportant les circonstances au confesseur afin que celui-ci puisse mieux le comprendre et lui donner ensuite les conseils les mieux adaptés à sa situation.

 

Mais il fait également part au prêtre de tout ce qui le préoccupe, lui expose de façon libre et naturelle tous les problèmes, toutes les difficultés particulières qu'il peut rencontrer dans l'existence quotidienne, lui signale ce qui l'inquiète, l'angoisse, l'obsède, lui révèle ses préoccupations, ses souffrances, essaye de lui exposer au mieux ses états d'âme, lui confie ses faiblesses, lui ouvre sa personnalité, déploie devant lui sa vie dans tous ses manques et ses imperfections.

 

Une telle ouverture est facilitée par l'assurance qu'a le pénitent de bénéficier de la miséricorde divine —ce qui lui est rappelé par le prêtre dans les prières préliminaires—, mais aussi par l'attitude d'écoute que se doit de manifester visiblement le confesseur et par la compassion dont il doit faire preuve. Ce dernier a en effet pour devoir de se montrer très attentif à tout ce qui lui est dit et en même temps de ne porter aucun jugement sur celui qui s'ouvre à lui. Il doit lui laisser une latitude absolue quant à la manière dont il s'exprime et faire montre a son égard d'une grande douceur et d'une grande patience. Les saints confesseurs, dépassant le stade de la simple «neutralité bienveillante» qui caractérise ordinairement le psychothérapeute profane, font preuve dans l’audition des maux qui leur sont révélés d’une profonde compassion, partageant réellement les difficultés et les souffrances de celui qu’ils entendent et manifestent invisiblement l’amour spirituel qu’ils éprouvent pour lui, tel le père devant le fils prodigue à l’image du Christ aux côtés du bon  larron. Cet amour loin d’être opprimant et envahissant, possède la douceur  et la discrétion de la grâce consolatrice et maternelle du Paraclet et couvre d'un baume réparateur le cœur blessé et brisé par le péché.

 

Cette attitude du prêtre, faite d'écoute patiente et humble, qui ne juge pas mais comprend, qui est absolue disponibilité pour l'autre immédiatement reçu comme frère souffrant, qui est faite aussi d'une compassion véritable, permet d'établir dans la charité la relation la plus profonde et la plus étroite qui soit, réalise d'emblée le climat de confiance indispensable à l'efficacité de la thérapeutique mise en œuvre, et rend possible une communication de grande qualité, qui permette au pénitent de n'avoir aucune crainte ni réticence pour ouvrir son âme aussi complètement que possible et de recevoir dans les meilleures conditions les soins qui conviennent à son état.

 

Si le rôle de confesseur est essentiellement en un premier temps d'écouter, il peut être aussi, à l'occasion, d'interroger, de faire préciser certains points ou éclairer certains détails si cela lui paraît nécessaire pour mieux comprendre le pénitent en vue de le mieux soigner. Le prêtre doit en tout cas le faire avec tact et discrétion, dans un esprit de charité, attitudes par lesquelles se manifestera que son intention est purement de venir en aide à celui qui est venu à lui ; il évitera toute entrée dans son âme par effraction, toute irruption dans son intimité, toute vaine curiosité, respectant de manière absolue sa liberté. Une telle intervention du prêtre peut paraître nécessaire lorsqu'il semble à celui-ci que le pénitent lui cache quelque chose, ne rapporte qu'incomplètement quelque faute ou état pathologique, se montre réticent ou hésitant à tel endroit. La prière qui précède la confession invite d'ailleurs le pénitent à la non-omission : «N'ayez pas honte, ne craignez pas et ne me cachez rien mais, sans réticence, dites tout ce que vous avez commis pour en recevoir le pardon de Notre Seigneur Jésus-Christ». 

 

Cependant certains péchés peuvent être restés inconscients. Le confesseur a alors pour tâche de percevoir les attitudes passionnées ou les états d'âme que le pénitent ne veut ou ne peut voir en lui—même et en conséquence ne confesse pas. Centaines passions en effet — l'orgueil et la cénodoxie(1) notamment —, de même que l'action des démons peuvent obnubiler la conscience.

 

Le confesseur peut alors connaitre l’état inavoué du pénitent indirectement, a travers certaines intonations de la voix, certains de ses silences, certaines hésitations, mais aussi à travers certaines de ses attitudes ou mimiques, et en se référant à la connaissance qu’il a du passé, de l’histoire de la personnalité de celui-ci. Il peut aussi en avoir une connaissance directe en lisant dans le cœur du pénitent s'il a reçu de Dieu, comme c'est le cas de certains saints confesseurs, le charisme de cardiognosie [connaissance de l'âme humaine]. Dans tous les cas, le discernement dont fait preuve le confesseur, quel que soit son degré et sa finesse, apparait comme une grâce divine liée à son ministère et plus ou moins développée selon son propre niveau de développement spirituel. Le confesseur ne fait pas toujours directement part au pénitent de cette connaissance qu'il a de lui par ces voies, surtout dans les cas où il risquerait ainsi de le blesser. Et c'est alors plutôt au moment où il lui donnera ses conseils qu'il pourra y faire allusion ou du moins en tiendra compte. C'est ainsi que le pénitent pourra à sa grande surprise recevoir des recommandations sans rapport avec ce qu'il a dit en se confessant, et sans lien avec l'état qu'il croyait être le sien.

 

C'est notamment à cette étape de la confession où le prêtre prodigue ses conseils spirituels à celui qui vient d'avouer ses fautes, que la tradition voit dans le confesseur un médecin et dans ses paroles un remède. Il s'agit en effet alors pour celui-ci d'envisager et d'exposer la thérapeutique à mettre en œuvre pour venir à bout des maladies qui lui ont été révélées ou qu'il a de lui-même perçues.

Il n'a pas pour fonction de donner un enseignement général, mais de déterminer en premier lieu celui qui convient le mieux à la personne qui est à ses côtés compte tenu de sa personnalité propre, de son genre de vie et d'activité, de ses possibilités, de ses difficultés habituelles, etc., et aussi du type de pathologie qu'elle présente. Il est souhaitable à cet égard que le confesseur connaisse bien le pénitent et puisse suivre l'évolution de son état intérieur afin de pouvoir correctement juger et de sa situation  particulière et du devenir positif ou négatif de sa maladie. Pour cette raison il est conseillé aux fidèles de se confesser toujours auprès du même prêtre.

 

Entre le confesseur et le pénitent, c'est une relation personnelle qui s'instaure, non seulement en ce qu'elle n'est pas anonyme pour les raisons que nous venons de présenter, mais également parce que à ce stade de la confession s'établit un dialogue. Le pénitent peut réagir à ce que lui dit le prêtre, l’interroger, discuter en vue d’approfondir certains points, dans la perspective d’une meilleure compréhension la situation et d’une meilleure stratégie thérapeutique. Dans ce dialogue qui se révèle d’autant plus profond et efficace qu’il  se situe dans le même climat de confiance, de simplicité et de charité que celui qui présidait à l'aveu des fautes, le prêtre n'apparait pas comme un maître qui du haut de sa chaire donne un enseignement dogmatique et abstrait, mais comme un père qui, avec le zèle, la sagesse et l'amour qui lui viennent de l'Esprit, encourage, exhorte, console, met en garde avec sévérité ou en toute douceur. Par ses propos — que la prière accompagne et qui pour cette raison et en raison aussi des charismes attachés à sa fonction par le sacrement qui l'a instituée, possèdent une valeur non pas spéculative, mais opérative —, il prépare, à l'image de saint Jean Baptiste, dans l'âme du pénitent, le retour du Seigneur, aplanissant Ses sentiers, comblant toute vallée, abaissant montagnes et collines, redressant tout ce que le péché a rendu tortueux.

 

Pendant la confession, le pénitent doit être animé par le repentir. Cette attitude — faite à la fois d'un regret de s'être auparavant éloigné de Dieu et d'une ferme volonté de se réformer à l'avenir — le rend particulièrement réceptif aux conseils prodigués par le prêtre en vue de sa guérison. Le prestige qui s'attache à la fonction du confesseur et, éventuellement, la sainteté personnelle de celui-ci, contribuent également à cette réceptivité.

 

Les paroles qui sont prononcées par le prêtre ne sont pas des lors des paroles ordinaires, d'autant plus qu'elles sont en outre valorisées par le fait qu'elles sont proférées dans le cadre du temps et de l’espace ecclésiaux et que le prêtre parle non en son nom propre mais en celui de l’Eglise et révèle la parole et la grâce thérapeutiques de Dieu sous l'inspiration de l'Esprit, ce qui confère à ces propos une force et une efficacité particulières, surtout si le pénitent s'ouvre totalement à eux et manifeste une ferme volonté de guérir.

 

Face au confesseur, le pénitent n'est plus seul, perdu, égaré par les effets de ses péchés : les conseils du prêtre lui redonnent les normes véridiques et sûres qui lui permettront de se resituer, et de savoir sans crainte de se tromper ce qu'il doit faire pour retrouver et conserver la santé qu'il avait perdue. Ces conseils lui permettent essentiellement de retrouver un jugement droit et une vie droite, conformes à la volonté de Dieu, lui rappellent le but spirituel vers lequel il doit tendre, la norme de la perfection à laquelle tout chrétien est appelé à se conformer, mais aussi indiquent les voies qui lui permettront d'y parvenir. Ces conseils, essentiellement pratiques, lui diront, par exemple, comment lutter contre telle tendance morbide dont il souffre, comment faire face à telle impulsion, comment lutter contre telle passion, comment parvenir à mieux pratiquer telle vertu, comment contourner telle difficulté qu'il retrouve régulièrement sur son chemin ou qui est susceptible de survenir en telle ou telle circonstance.

 

L'épitimie (2), exercice pénitentiel éventuellement donné par le confesseur, a le même sens thérapeutique que ses conseils. Paul Evdokimov écrit à son sujet : elle « n'est point un châtiment ; le moment juridique de la «satisfaction» est totalement absent. C'est un remède, et le père spirituel cherche le rapport organique entre le malade et le moyen thérapeutique. Le but est de placer le pénitent dans les conditions où il n'est plus sollicité par le péché. Saint Jean Chrysostome dit : "Nous ne demandons pas si la blessure a été souvent pansée, mais si le pansement a fait du bien. Le moment de l'enlever, c'est l'état du blessé qui l'indique." Il ne s'agit donc pas de faits matériels à racheter, mais de leur source à tarir». 

 

Au moment de l'absolution sont pardonnées par le Christ, à la prière du prêtre, les fautes «volontaires et involontaires, conscientes et inconscientes, celles du jour et de la nuit, celles en esprit et en pensée», et le pénitent se trouve réconcilié et réuni à l'Église. Dans l'absolution se manifeste et opère la grâce thérapeutique du Christ qui détruit et élimine toutes les maladies du pénitent et restaure son âme, le restitue à la santé et à la grâce que le baptême lui a données, mais dont il s'est écarté par ses fautes. Le moment de l'absolution est nécessaire à une guérison véritable et profonde : le seul aveu des fautes soulage certes le malade, mais le péché, bien qu'il soit ainsi en quelque sorte extériorisé et objectivé, conserve encore une certaine puissance, et c'est l'absolution seule qui, le détruisant par le pardon divin, le met totalement hors d'état de nuire. Il ne suffit pas de dire au médecin que l'on est malade et de quels maux l'on souffre pour être, de ce fait, guéri de sa maladie. Et les paroles encourageantes du médecin ni ses conseils ne suffisent pas non plus, même si cela constitue un élément important de la thérapeutique. Ce n'est que lorsque le mal dans ses racines mêmes a été détruit par les médicaments et que la guérison est accomplie. L'absolution assure à l’homme que ses maladies passées ne subsistent pas, lui donne la garantie du pardon divin, pour toutes ses fautes. Le pénitent connait alors une libération intérieure, retrouve la paix et la joie spirituelles.

 

Le pénitent, dans la confession, n'est pas seulement animé par le regret des fautes qu'il a commises : il veut aussi y retrouver l'innocence de sa nature restaurée par le baptême et qu'il a perdue du fait du péché, et il veut aussi de nouveau marcher en toute pureté sur les voies de Dieu. Aussi le sacrement de pénitence apparaît - il essentiellement tourné vers l'avenir. Il permet à l'homme libéré des entraves du péché de n'être plus déterminé par le mal passé et le remet totalement en possession de lui-même.  Il remet à sa disposition toutes les forces qui lui avaient été données lors du baptême et de la chrismation, le renouvelle dans tout son être, lui permet d'être de nouveau, en Dieu, maître de son destin et de reprendre en nouveauté de vie la voie qui l'achemine vers la pleine santé en Christ et l'assimilation de la plénitude de la grâce déifiante. Le sacrement de pénitence est, comme le baptême mais à un autre degré, un rituel de renouvellement, qui donne la mort aux resurgissements du «vieil homme» et fait de ses comportements maladifs un passé dépassé, pour que revive pleinement l'homme nouveau du baptême.

Après avoir reçu l'absolution, le pénitent doit baiser la croix, signe de la victoire du Christ sur le péché, la maladie et la mort, ainsi que l'Évangile signe de la vie nouvelle en Christ.

 

Par l'absolution, le pénitent se trouve réconcilié et réuni à la sainte Église du Christ. Le péché l'avait séparé du corps du Christ, de la grâce, de la communion des saints, de la communauté ecclésiale. Le sacrement abolit ces séparations, ces ruptures pathologiques de la relation à Dieu et aux frères, et retire le pénitent de son isolement mortel. Celui-ci peut alors retrouver la pleine communion au sacrement de l'autel et au «Sacrement du frère», et reprend la place qui lui revient parmi les enfants de Dieu. Retrouvant la source de la grâce dont il s'était détouré, il peut poursuivre dans l'Esprit sa croissance théanthropique, jusqu'à la stature d'homme adulte en Christ, archétype de sa nature, modèle et principe de sa santé et de sa sainteté.

 

(1)

Une définition du terme cénodoxie  :

kenodoxia en grec signifie vanité. La vanité est l'amour désordonné de l'estime des autres. Elle se distingue de l'orgueil qui se complaît dans sa propre excellence, mais généralement elle découle de celui-ci. Le désordre consiste donc à vouloir être estimé pour soi-même, sans renvoyer cet honneur à Dieu qui a mis en nous tout ce qu'il y a de bon ; ou à vouloir être estimé pour des choses vaines qui ne méritent pas la louange ; ou enfin à rechercher l'estime de ceux dont le jugement n'a pas de valeur, des mondains, par exemple, qui n'apprécient que les choses vaines

 

(2) 

Une pénitence spéciale ou épitimie parfois imposée par le prêtre-confesseur, n'est pas un châtiment, mais représente une action de correction ou de guérison

 

(3) Le concile In Trullo appelé aussi sixième Concile œcuménique 



13/02/2024

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